Passer de l’aversion au risque à l’agilité maîtrisée dans les achats innovants de l’US Navy – retours sur le 22ème Symposium annuel sur la recherche en acquisition

Le 22ème « Acquisition Research Symposium & Innovation Summit », intitulé « Créer des synergies pour un changement éclairé : transférer la technologie au combattant » s’est déroulé en ligne les 7 et 8 mai. Organisé par la Naval Postgraduate School américaine, elle m’a permis d’avoir une vision claire et directe (et non classifiée) de la manière dont l’écosystème des achats de défense américians évolue dans un contexte stratégique et technologique en mutation rapide. En tant que chercheur en management de l’innovation, j’ai été frappé non seulement par l’urgence du changement exprimé par les différents acteurs présents dans les panels et les présentations d’articles, mais surtout par le fait que les dimensions culturelles, organisationnelles et humaines de l’innovation sont pleinement assumées par ceux-ci.

Voici mes « key take aways »

1. Repenser le risque dans l’innovation de défense

Une constante des panels : redéfinir le risque acceptable. L’approche binaire classique (risqué ou non) est dépassée. Il faut désormais penser en termes de degrés et de temporalité, notamment dans les systèmes logiciels ou les prototypes. Des voix comme celles de David Berteau ou Geoffrey Bryce plaident pour intégrer aussi le risque de ne pas livrer la capacité à temps.

Ce changement de paradigme – voir le risque comme une étape d’apprentissage plutôt qu’un échec – s’inscrit dans les meilleures pratiques du secteur privé ; notamment celui de la Silicon Valley, alors que le patron de la Defense Innovation Unit (agence focalisée sur les relations avec les startups) est un ancien d’Apple. Le véritable risque, c’est désormais l’inaction.

2. L’innovation comme culture de leadership, pas seulement comme processus

Les interventions du MG Robert Barrie et de l’amiral Rothenhaus ont souligné un point fort : l’innovation n’est pas qu’affaire de procédures ou de technologies. Elle repose sur une culture managériale. Barrie a insisté sur ce point : il faut,désormais valoriser ceux qui abaissent les obstacles, pas ceux qui suivent scrupuleusement les règles. Ceci entre en résonance avec les travaux sur le leadership ambidextre : un bon leader favorise à la fois la performance opérationnelle et l’expérimentation continue.

3. La recherche de marché et la contractualisation comme freins structurels

Le professeur Tim Cummins a mis en lumière un vrai défi dans l’achat d’innovation pour les armées : la gestion des contrats reste trop souvent une fonction administrative, peu ouverte à la curiosité ou à la stratégie. Or, dans une logique d’innovation, les compétences en sourcing / connaissances de ses marchés comme en ingénierie contractuelle agile deviennent essentielles (NB.: c’est un point que l’on retrouve également en achats publiques européens, quand il s’agit de monter des partenariats d’innovation).

Cela passe donc par une montée en compétences de la fonction achat, mais aussi par une évolution des mentalités.

4. L’innovation commerciale et le défi de l’industrialisation

Doug Beck, l’ancien d’Apple et patron du DIU, a exposé un modèle efficace : partenariats, rapidité, impact stratégique. Mais comme souvent, le problème n’est pas d’innover, mais de passer à l’échelle. Ce qui marche pour une unité opérationnelle ne fonctionne pas toujours à grande échelle. D’où l’importance de penser la scalabilité dès les premières phases de l’acquisition. Et là, c’est un axe de travail important et récurrent tel que rapporté tout au long du symposium – avec déjà quelques réussites et pas mal d’échecs.

5. Vers un écosystème plus perméable

Enfin, beaucoup ont souligné la difficulté actuelle à faire travailler ensemble experts technologiques et militaires. Le système est rigide, les talents circulent peu, et les processus sont longs. Il faut repenser les passerelles entre innovation civile et besoins militaires, et imaginer des parcours plus fluides et incitatifs. C’est un appel ici à développer non seulement les échanges grâce aux réservistes mais également les embarquements provisoires civil vers militaire et militaire vers civil.


Conclusion : un système en pleine transition

Ce symposium a été pour moi un signe que les Achats de défense US sont en mutation. Plus rapide, plus agile, plus stratégique. Mais pour réussir, il y a la conscience d’un besoin de changement dans ses processus mais aussi et surtout dans sa culture et la gestion de ses talents.