Les crises successives d’approvisionnement, conséquence d’un manque d’intelligence économique dans les Directions Achats ?

Opérations pompiers, arrêts de chaînes de fabrication, suspensions de livraisons : les acheteurs sont mis à rude épreuve. A la crise de la Covid ont succédé celles des semi-conducteurs, de l’Ukraine, de l’énergie… S’assurer de la sécurisation des approvisionnements est ainsi depuis 2 ans entré sur le podium des 5 priorités des services Achats, suivant l’Observatoire des Achats et de l’Innovation Kedge Executive Education.

Pourtant, certaines de ces crises majeures étaient prévisibles longtemps à l’avance et la fonction Achats aurait pu contribuer à la résilience de son organisation autrement qu’en réaction : en anticipant!

Les manques d’anticipation se chiffrent en milliards

L’exemple le plus flagrant : la crise des semi-conducteurs, ou l’histoire d’un malentendu entre une industrie d’assemblage (l’automobile) et une industrie capitalistique (les semi-conducteurs). La première tourne avec des commandes fermes à 3 mois grand maximum. La seconde est une industrie capitalistique de 600 milliards de dollars, la moindre usine coûtant 15 milliards. Ne pas avoir eu cette lecture de la position stratégique de ces fournisseurs a coûté 210 milliards de pertes de chiffres d’affaires au secteur automobile mondial.

On pourra objecter que l’exemple est facile, rétrospectif et unique, voire spécifique à ce secteur particulier. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Bien avant la guerre en Ukraine, le marché de l’électricité en Europe, autre exemple flagrant, était lui aussi déjà en nette surchauffe. 

Pour répondre aux enjeux accélérés de la transition énergétique mais aussi de souveraineté industrielle, les industriels (et les politiques) sont en train de « découvrir » qu’ils auront beau investir dans des gigafactories, ils n’en resteront pas moins tributaires des approvisionnements en matières premières minérales.

Or, le temps d’exploration puis de mise en production nécessaires se compte en décennie. 

La très grande majorité de ces informations critiques sont pourtant disponibles librement et gratuitement à tous, pour autant qu’on aille les chercher et qu’on sache les décrypter correctement.

Sur ces sujets d’anticipation stratégique, la fonction Achats au sens large est structurellement sous-équipée, et c’est encore plus flagrant lorsqu’on la compare avec d’autres fonctions – notamment le Marketing.

Dans les priorités Achats, faire de la veille a toujours été en queue de peloton : toujours d’après l’Observatoire des Achats et de l’Innovation, collecter des renseignements sur les marchés et les technologies a été une priorité donnée à moins de 12% des services Achats en 2021. Et en 2022, le chiffre a baissé de 4 points.

Les crises n’y ont rien changé. Ces questions d’anticipation sont, au mieux, déléguées individuellement aux Commodity Managers. Il n’est donc pas anormal de trouver au final une fonction globalement en surréaction plutôt qu’en prévision. 

Des read team Achats pour renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement

Pour reprendre un exemple venu du domaine cyber, il paraît à tous évident que des « red teams » soient régulièrement mis en place pour tester la solidité des systèmes en faisant des scénarios d’intrusion.

Toujours sous ce vocable de « red team », le Ministère des Armées a rassemblé des prospectivistes et cherche ainsi à évaluer les menaces futures. Il s’agit ni plus ni moins que de redonner ses lettres de noblesse à la notion d’intelligence économique.

Force est de constater que c’est actuellement une portion congrue du rôle attribué aux acheteurs, alors que c’est précisément cette carence d’anticipation qui met régulièrement le système en ébullition.

Alors, à l’aune des démonstrations qu’ont amenées ces crises, pousser l’idée de « red teams achats», correctement organisées et outillées, nous semble une idée de moins en moins incongrue.

Ce point de vue a été publié dans la revue Profession Achats, et co-écrit avec Frédéric Thielen (Président d’AristaQ, et ex-Directeur Achats) et Xavier Lepage (IRENCO – Professeur associé à l’Ecole de Guerre Economique)